Éponine. Pour les amoureux des Misérables (dont je fais partie), elle restera à jamais celle qui mourra pour Marius. Mais si Victor Hugo a ainsi nommé l’une de ses héroïnes (et quelle héroïne !), c’est parce que son siècle et ceux précédents ont porté aux nues une héroïne gauloise, épouse d’un opposant à Rome qui resta caché, dit-on, neuf ans dans une grotte ou un tombeau pour échapper à la colère de l’Empereur Vespasien.

Éponine, comme Epona, la déesse gauloise de la fertilité et de l’abondance, représentée notamment une jument, l’animal essentiel des aristocrates gaulois.
Révolte contre Rome
Issue de la tribu des Lingons, de Langres plus précisément (aujourd’hui en Bourgone), elle est donc l’épouse d’un certain Julius Sabinus. Ce dernier se targue, excusez-le du peu, d’être un descendant direct de César.
L’époque est compliquée pour Rome. Durant l’année 69 ap. J.C., quatre empereurs se suivent à la tête de l’Empire. Le dernier en date, c’est Vespasien. Ce dernier se doit de gérer l’instabilité grandissante, notamment en Gaule. L’Empire se soulève. De la Méditerranée jusqu’en Germaine, on tente de faire tomber Rome, de gagner son indépendance. En 69 la Révolte des Bataves, notamment fera trembler l’Empire.
Les Bataves, c’est un peuple issu quelque part dans les actuels Pays-Bas. Julius Civilis, chef batave, entraîne d’autres peuples opposés à Rome. Parmi eux, les Lingons et Julius Sabinus qui se dit, donc, descendre de César. Les Lingons, ce sont l’un des peuples les plus anciens de la Gaule.
Julius Sabinus sera glorifié comme un autre Vercingérorix. Pourtant les sources sur lui sont minces. Toutefois, les textes racontent qu’une fois la révolte écrasée par les Romains, Julius Sabinus se cachera dans une grotte – ou un tombeau – et ce pendant neuf ans. Ayant fait croire à un suicide en faisant brûler sa maison, il disparait pour échapper à la colère de Vespasien.
C’est là qu’Eponine entre en scène. Cette dernière porte le deuil mais la nuit, elle rejoint son mari dans sa cachette. Ils auront des jumeaux en secret avant d’être trahis et amenés à Vespasien.

Eponine plaide la cause de son mari puis, comme Vespasien ne se laisse pas convaincre (ils étaient rarement tendres et compréhensifs les empereurs de cette époque), elle demande à mourir avec lui. Ce que l’Empereur lui accordera.
Entrée au panthéon des grandes révolutions
Femme héroïque, à la mort tragique, ayant tenu tête à la grande Rome, le personnage d’Eponine sera porté aux nues au fil des siècles. Par manques de sources concrètes, sa vie, ses actes et sa mort – ainsi que certaines paroles qu’elle aurait prononcées avant de mourir, mettant, dit-on, Vespasien au défi, sont difficilement vérifiables. Les fantasmes de la femme forte, indépendante, de la Rome Antique et de ses récits de vie spectaculaires entrent vite dans la légende.
Le vent de l’histoire les rendra plus concrets encore. Nous sommes à la fin du XVIIIème siècle en France et la Révolution française gronde. Julius Sabinus et Eponine sont alors utilisés comme vecteur d’histoire et d’opposition. Le couple est alors celui qui fait face à la grande Rome comme les révolutionnaires font face au Roi. Finalement, Julius Sabinus et Eponine deviennent un couple mythique. En 1793, le personnage d’Eponine est au centre de « Eponine ou de la République » de Desliles de Salles qui le présentât alors comme un prétendument manuscrit de Platon transmis depuis des siècles. ß0

Enfin, c’est le XIXème siècle romantique puis sa toute fin qui remet Eponine au centre des arts. Elle est l’un des personnages tragiques des Misérables de Victor Hugo (le plus beau personnage avec Jean Valjean,en ce qui me concerne). Elle inspire Bellini pour son opéra « Norma » (une prêtresse gauloise). On la retrouve également représentée dans beaucoup de peintures de cette époque. Enfin, pour la rendre présentable et officielle, elle devient sainte même si rien ne confirme un possible martyr au nom de la foi chrétienne.
Ce que l’histoire et les siècles suivant ont fait d’Eponine a finalement fait tomber dans l’oubli le personnage initial. L’Eponine que nous connaissons tous est celle de Victor Hugo. N’est-il pas temps de sortir de l’oubli celle qui a inspiré toutes les autres? La vraie Eponine.
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