Si je vous dis Commune, soutien-gorge, Argentine? Ce n’est pas le début d’une plaisanterie hasardeuse mais cela fait toujours son effet en société (histoire vécue). Il est étrange d’ailleurs comme Herminie Cadolle est relativement (voir totalement) oubliée aujourd’hui, sauf pour les initiés (et les amoureux des corsets et de la dentelle peut-être). Sa vie est un roman, digne d’une série Netflix !
Herminie nait Eugénie Herminie Sardon en 1842. À 18 ans, en 1860, elle épouse une ouvrier peintre à Beaugency, dans le Loiret. S’ils sont issus de la province, ils montent à la capitale peu après la naissance de leur fils Alcide. Nous sommes en pleine révolution industrielle, sous le Second Empire et plusieurs dizaines de milliers de Français issus du monde rural montent à Paris. L’objectif de cet exode? La capitale, certes, mais surtout les chantiers, les usines et, plus généralement, les sites industriels dans le but d’avoir un salaire régulier notamment.
Le temps des cerises
La petite famille s’installe à Aubervilliers. Lui est peintre, embauché notamment sur les chantiers du nouveau Paris d’Haussmann. Elle est corsetière (ou giletière) dans différents ateliers ou grands magasins (dont c’est également le grand boom !) de la capitale. Nous sommes dans une France à la Zola où la misère côtoie les injustices sociales. Les riches sont très riches et les pauvres, très pauvres. Si la révolution industrielle, la modernisation du monde et le paternalisme sont censés faire évoluer la société et les conditions de travail, rien ne va vraiment, au sein de la classe sociale de la famille Cadolle.
Et puis le XIXeme siècle est un siècle chahuteur (je l’aime bien pour cela, personnellement). En France, se succèdent les révoltes et les révolutions. La guerre avec la Prusse, la défaite terrible et l’exil d’un Napoléon III malade offrent le contexte parfait pour une révolution ouvrière. Ce sera La Commune (au printemps 1871).
La Commune c’est du sang (beaucoup), une guerre civile qui éclate, un Gambetta dans une montgolfière, une République en déroute, la science qui tente de prendre le pas sur la religion, la fin d’un Empire qui aura été le dernier, la volonté du triomphe de l’égalité des richesses. Tout cela, pêle-mêle, bien sûr.
Le couple Cadolle est engagé dans les révoltes sociales mais jouera un rôle dans cet épisode de l’histoire française et parisienne. Herminie aurait été membre du Comité de vigilance des femmes du XVIIIe. Elle y rencontre une certaine Louise Michel dont le rôle, certainement pas mineur, pendant la Commune, l’enverra en exil en Nouvelle-Calédonie. Herminie est également active au sein du mouvement féministe l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Ernest Cadolle, enrôlé dans la Garde Nationale pendant le siège de Paris sera jugé et condamné à deux ans et demi de prison, une peine réduite de moitié par la suite. Herminie sera également arrêtée, détenue à la prison de Rouen par faute de place à Paris puis transférée à la prison des Chantiers de Versailles pour terminer ses six mois de captivité, en compagnie d’ailleurs, de Louise Michel.
La politique ne quitte alors plus la vie des Cadolle. D’autant que la situation ne s’arrête pas en 1871. On se bat alors pour l’amnistie des communards condamnés. Des comités se forment et Herminie en est. Elle est trésorière du Comité socialiste d’aide (notamment aux familles des emprisonnés ou tués) favorable à l’amnistie totale. En 1880, elle sera à la gare de St Lazare lorsque Louise Michel reviendra de Nouvelle-Calédonie. Elle est aux obsèques des anciens communards, dont des personnalités comme Auguste Blanqui.
Engagée dans la perpétuation de la mémoire de la Commune et résolument contre la nouvelle république, Herminie fréquente les tribunaux, arrêtée, notamment avec son fils Alcide (pour outrage à agent par exemple). Après avoir marié ce dernier (dont les témoins ne sont autre que d’anciens communards devenus députés), Herminie s’en va.
Une nouvelle vie en Argentine
C’est en Argentine que Herminie Cadolle pose alors ses valises. C’est un pays de cocagne, en plein boom économique lui aussi et destination phare des anciens communards. À Buenos Aires, elle reprend son travail de corsetière / giletière et ouvre une boutique de lingerie. C’est un très grand succès.
C’est là qu’intervient la révolution du corset. Féministe engagée, Herminie veut délivrer les femmes de l’oppression (plus que conséquente à l’époque). Le premier de ces poids qui pèse sur les femmes, ce sont ces corsets, des prisons ambulantes qui les empêchent de respirer. Certaines tombent dans les pommes, le souffle coupé. Le corset les entrave dans leurs mouvements, les empêchent à marcher vite, à sourire, à vitre tout simplement. Il est également mauvais pour la posture, empêchant aux muscles du dos et du ventre de se développer convenablement – le corps étant finalement toujours « porté ». C’est également l’époque où certaines femmes, le plus souvent comédiennes, sont connues pour leur taille de guêpe, les corsets sont serrés à l’extrême, la mode est à la silhouette en « S », la poitrine en avant, la taille minuscule et des robes rembourrées au niveau des fesses.
Herminie Cadolle invente le « corselet-gorge », véritable ancêtre du soutien-gorge qu’elle appelle le « Bien-Être. Le ton est donné. Les femmes doivent se sentir bien, ne plus être victime de la mode imposée par les hommes, les robes montant haut jusqu’au cou et les manches sur les mains.
Herminie coupe tout simplement le corset en deux, sous la poitrine. Le ventre est encore maintenu mais le diaphragme est libéré. Pour le rendre moins rigide, elle utilise du fil souple, une armature en « W » et deux bretelles. La partie basse maintient l’abdomen, la partie haute la poitrine. Les femmes respirent. C’est une révolution.
Après avoir été communarde, toujours féministe engagée, Herminie Cadolle devient cheffe d’entreprise. Elle fonde en 1910 la « Maison Cadolle » et emploie jusqu’à 200 ouvrières.
Entre temps, elle est revenue en France. En 1889 présente son « Bien-Être ». Mais ce n’est qu’en 1898 que son modèle de corselet-gorge (appelé ensuite « maintien-gorge ») fera vraiment sensation et sera breveté. En 1904, le terme « soutien-gorge » sera officialisé par son entrée, en fanfare, dans le dictionnaire Larousse.
Elle ouvre en 1910 la première boutique de la Maison Cadolle au 24 rue de la Chaussée-d’Antin. La maison de lingerie est toujours présente aujourd’hui sur le marché de la lingerie de luxe, toujours tenue par la famille Cadolle.
Herminie Cadolle, alors à la tête d’une maison de lingerie réputée, décède en 1924 dans sa propriété de Saint-Cloud.
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