Elles aussi 

L'histoire s'est aussi écrite au féminin.


Noor Inayat Kahn (1914-1944). L’absolu courage.

Noor Inayat Khan (1914, Moscou – 1944, Dachau)

Son père était un mystique soufi, d’origine indienne. Sa mère était américaine, d’origine d’Alburquerque. Un de ses ancêtres fut un sultan indien. Ses parents se rencontrèrent à New York, se marièrent à Londres contre l’avis de leur famille puis s’installèrent à Moscou.

Noor Inayat Kahn naît à Moscou en 1914. Lorsque la révolution éclate en Russie, sa famille fuit à Londres, puis à Paris à partir de 1921 où ils logeront dans une maison à Suresnes. Le père de Noor ouvre d’abord une école et fonde un mouvement soufiste, une pratique mystique de l’Islam qui cherche le rapprochement avec Dieu et qui prône la non-violence. Puis il rentrera en Inde où il mourra en 1927. Avec cette éducation aux portes du spirituel, baignée dans la culture, la poésie, les études, Noor restera à jamais imprégnée de son enfance.

Noor jouera de la harpe à haut niveau – au point d’être élève à l’École normale de musique de Paris auprès de la célèbre Nadia Boulanger. Mais elle sera aussi bachelière et étudiante à La Sorbonne en psychologie de l’enfance. Elle est ensuite engagée par la radio pour écrire des contes pour enfants qui seront par la suite publiés par Le Figaro.

Avec son frère et une amie, Noor est au centre.

Lorsque la France perd la guerre en juin 1940, les Inayat Khan, sujets britanniques, doivent fuir. Après une longue pérégrination entre Tours et Bordeaux, ils parviennent à rejoindre l’Angleterre par bateau.

Noor et son frère font alors un choix. Le choix de leur vie. Élevés dans les préceptes de la non-violence, ils s’engagent contre le nazisme. Noor entre dans les Women’s Auxiliary Air Force, première force armée féminine britannique fondée en 1939. Bientôt, elle suit une formation d’opératrice radio. Lors de son intégration au sein du WAAF, Noor se déclare anglicane. Elle fait preuve de maladresse et ses airs de princesse ainsi que son physique considéré comme « typé » par ses supérieurs ne la prédestinent en rien à une action sur le terrain, en France. Elle est nommée sous-lieutenante.

Si Noor s’engage, c’est aussi pour l’Inde. L’Inde qu’elle rêve de voir indépendante.

« Si l’un d’entre eux pouvait réaliser quelque chose au service des alliés qui soit très courageux et que tout le monde admire, cela aiderait à tendre un pont entre les Anglais et les Indiens »

Noor à son ami Jean Overton Fuller, cité par lui-même dans « Madeleine » (livre sur la vie de
Noor)

Lorsque le SOE (Spécial Opération Order), service créé par Churchill justement pour envoyer des agents en terrain ennemi (donc, en France et en Belgique) la contacte, Noor accepte. Elle suit le programme intense mis en place par l’armée britannique puis est envoyée, comme opératrice radio – avant même la fin de sa formation – à Paris, parachutée par avion dans la nuit du 16 au 17 juin 1943. La vie d’un opérateur radio en terrain occupé est de 4 mois. Noor le sait. Elle sait aussi qu’elle est la première femme opératrice radio envoyée en France par le SOE. Mais si elle a peur, Noor ne le montre pas. Dans ses affaires, en plus de son matériel radio dissimulé dans une valise, elle a aussi des faux tickets d’alimentation, des faux papiers au nom de Nora Baker, un pistolet et des médicaments : des somnifères, des simulateurs de nausées, des stimulants et, bien sûr, une pilule de cyanure à croquer entre deux molaires si elle est arrêtée.

Mais moins d’une semaine après son arrivée, les dirigeants du réseau pour lequel elle doit travailler, le réseau PHONO, lui-même sous-réseau de Prosper-PHYSICIAN, sont arrêtés à Paris par la Gestapo. Noor ne s’arrête pas. Elle émet malgré plusieurs coups de filets des Nazis desquels elle échappe.

Peu à peu, il n’y a plus qu’elle et elle est alors la seule opératrice radio en région parisienne. Nous sommes en juillet 1943 et Noor se cache des nazis. « Son poste est actuellement le plus important et le plus dangereux de France » écrit le responsable SOE à son sujet. Rien que ça.

Noor parviendra à survivre 3 mois et demi de plus, continuant à émettre malgré le danger. La Gestapo, toutefois, resserre de plus en plus son filet autour d’elle. Bientôt, « Madeleine » – son pseudonyme dans la Résistance – est dans leurs papiers. Il faut retrouver cette femme. Pour rester en vie et ne pas se faire arrêter, Noor se déplace en permanent, ne dort jamais au même endroit et émet durant de très courtes durées (10 à 15 minutes). Elle se tourne alors vers ses anciennes connaissances en France, lorsqu’elle y habitait dans les années 1920/1930 en tant que Noor Inayat Khan. Le choix est dangereux. On considère toutefois qu’elle parvient à faciliter l’évasion de tente aviateurs alliés et à livrer armes et argent à la résistance. Elle délivre vingt messages dans des conditions plus que difficiles et rien ne l’arrête. Au fond, peu à peu, Noor prend des risques. Elle n’a pas le choix. Il est également dit que c’est elle qui émet le résultat du vote de l’élection du nouveau chef du CNR (Conseil National de la Résistance), à Paris, le 30 juillet 1943. C’est le nom de Georges Bidault qu’elle envoie à Baker Street, le remplaçant de Jean Moulin arrêté à Calluires quelques semaines auparavant.

À la mi-octobre 1943, pourtant, Noor est arrêtée par la Gestapo à la veille de son rapatriement à Londres, quatre mois après avoir été parachutée en France. Deux traitres sont possiblement à l’origine de son arrestation. OU bien par un officier du SOE soupçonné d’être un agent double, Henri Déricourt ou bien par la soeur de son chef de réseau, Renée Garry.

Pendant neuf mois, Noor est enfermée au siège de la Gestapo, attachée par les pieds et les mains, une chaine reliant ces liens entre eux. Interrogée, torturée, elle ne parlera pas – et cela d’après les dires même du numéro deux de la Gestapo en France. Mais ses notes sont tombées entre les mains des Allemands, ce qui leur permet de se faire passer pour elle et d’envoyer de fausses informations à Londres.

Toutefois, malgré tout, Noor n’abandonne pas le combat. Elle tente de s’évader deux fois et elle est envoyée à la prison de Pforzheim, en Allemagne. Puis, en septembre 1944, elle est transférée au camp de concentration de Dachau, près de Munich. Elle y est abattue par des officiers SS après avoir été violemment battue par ces derniers. Elle n’avait que 30 ans. Son dernier mot avant de mourir aurait été Liberté.

Il est parfois dit de Noor Inayat Khan qu’elle était maladroite, déraisonnable, trouillarde (d’après ses chefs du SEO), idéaliste et qu’elle prit trop de risques. Pourtant elle reste l’une des espionnes britanniques les plus célèbres de son temps (même si complètement oubliée ailleurs).

Comme tous les combattants pour la liberté durant la Seconde Guerre mondiale, Noor Inayat Khan et son grand regard reviennent nous hanter. En tant qu’historienne spécialiste de cette période et petite-fille de résistant, une question me poursuivra à jamais : je serai toujours saisie de respect face a leur courage absolu.



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