Elles aussi 

L'histoire s'est aussi écrite au féminin.


Claudette Colvin (1939-). Le droit d’exister

Nous sommes le 2 mars 1955 à Montgomery, en Alabama. Claudette Colvin a 15 ans et elle monte dans le bus. Comme tous les autres jours de la semaine, elle rentre de l’école dans ce comté ségrégationniste du Sud des Etats-Unis (voisin du Mississippi et à quelques kilomètres de la Nouvelle-Orléans).

Claudette Colvin (1939-)

Lorsque le bus devient plein, le chauffeur exige auprès de la jeune Claudette qu’elle laisse sa place aux Blancs (car un Blanc ne doit pas rester debout). Tout simplement, elle refuse. Nous sommes en Alabama. Les lois ségrégationnistes sont de vigueur. La police est appelée, Claudette Colvin est arrêtée.

Condamnée et incarcérée, elle ne sera libérée qu’après que la communauté noire locale n’ait récolté la somme nécessaire à sa caution. Neuf mois plus tar, sur la même ligne de bus, une certaine Rosa Parks refusera elle aussi, de céder sa place. Cette dernière « éclipsera » le geste au combien fort et courageux de la jeune Claudette Colvin.

Claudette Colvin est tombée dans l’oubli. Rosa Parks, malgré elle, est tombée dans la lumière. Rien qu’en France, une station de RER, de bus, des rues ou des établissements scolaires portent le nom de Rosa Parks. Claudette Colvin? Qui la connaît? Ainsi que Aurelia Browder ou Mary Louise Smith qui, elle aussi (!), ont refusé de céder leurs places dans le bus.

L’histoire, elle n’oublie rien. Mais la mémoire, elle, peut-être sélective. Pourquoi Rosa plutôt que Claudette?

Les lois Jim Crow

Adoptées à la fin du XIXème siècle, les « lois Jim Crow » sont des lois nationales mais aussi locales imposant la ségrégation raciales aux États-Unis. Il serait trop long ici pour décrire à quel point les lois Jim Crow ont façonné des États-Unis du Sud coupés en deux : la ségrégation avait lieu dans les transports, les hôpitaux, les cimetières (!), les écoles, les cafés, les restaurants, les salles de concert, les toilettes, les stades, les gymnases, etc. De plus, les interactions sociales entre les Blancs et les gens de couleur étaient réduites, si ce n’est interdites.

Illustration de la chanson du show « Jump Jim Crow » de Thomas D. Rice

(Pour ceux qui se demanderaient pourquoi « Jim Crow » : depuis le milieu du XIXème siècle, ce terme désignait, de manière péjorative, les Afro-Américains. L’expression tire son origine d’une chanson « Jump Jim Crow » dans laquelle les Afro-Américains sont caricaturés).

Même si le résumé que je viens de faire est extrêmement court à l’aune de tout ce que la ségrégation représente et tout ce qu’elle a d’abjecte.

Quoiqu’il en soit c’est contre cent ans d’histoire que la (très) jeune Claudette Colvin s’insurge en refusant de céder sa place dans l’autobus, cet après-midi du 2 mars 1955 à Montgomery.

L’héroïne avant Rosa Parks

Claudette Colvin est une jeune Afro-Américaine qui grandit dans l’Alabama. Autrement dit un État du Sud où la ségrégation est particulièrement suivie et stricte. Les lois raciales sont particulièrement sévères. Imaginez un peu, Claudette Colvin n’a pas le droit de rentrer dans un magasin de chaussure. Interdit. Ce jour du 2 mars 1955, elle aurait dû, selon la loi raciale, se lever pour céder sa place à un Blanc. Comme elle refuse, Claudette Colvin est arrêtée. Le conducteur de bus aurait pu porter une arme et la tuer, comme ça.

La ségrégation illustrée. Photographie de Elliott Erwitt, prise à Wilmington en Caroline du Nord en 1953.

Arrêtée, Claudette Colvin est inculpée sous trois chefs d’accusation : 1/ le trouble à l’ordre public ; 2/ la violation de la loi de la ségrégation ; 3/ l’agression des policiers venus l’arrêter (faux). Elle est condamnée, bien évidemment mais Claudette fera appel. Dans ce cas, on choisit le chef d’inculpation qui poussera à aller à la cour suprême (donc à ne laisser aucune chance à la jeune Claudette).

La NAACP milite et défend Claudette. Parmi ses défenseurs, il y a une certaine Rosa Parks. Neuf mois plus tard, elle appliquera le même geste.

Depuis, c’est Rosa Parks qui est passée sous les projecteurs et Claudette Colvin tombe dans l’ombre. Rosa Parks est couturière, mère de famille, mariée, élégante, militante. Elle a aussi la peau moins sombre que celle de Claudette Colvin (détail important).

Les rumeurs courent sur Claudette. Le récit est transformé. Rosa Parks a mal aux pieds, raconte-t-on. Pourtant, non. Rosa Parks est une militante engagée depuis 20 ans la lutte contre la ségrégation et qui s’est impliquée dans la défense de Claudette Colvin.

Claudette Colvin, elle, était vue comme une jeune femme de mauvaises moeurs (comme on disait à l’époque), enceinte d’un Blanc, mauvaise élèves. Ce que Claudette n’est pas. De fait, elle est même plutôt discrète, insignifiante. Mais comment expliquer son geste si elle n’était pas une femme affranchie des lois de prime abord?

L’histoire, cher lecteur, s’écrit souvent à double récit.

Alors Claudette Colvin n’est pas choisie par l’histoire et le story telling. Parce qu’elle est trop jeune, trop noire, trop insignifiante, trop incompréhensible. Alors que Rosa Parks était une mère de famille, une couturière, une femme élégante, posée, bonne épouse.

Claudette Colvin et Rosa Parks quittent Montgomery et l’Alabama car elles sont interdites de travailler (!). Claudette part pour New York et Rosa pour Detroit.

Claudette Colvin ne racontera jamais son histoire, jamais. Parce qu’il faut vivre. Elle tombe dans l’oubli. Toujours aujourd’hui, même aux États-Unis, Claudette est partiellement inconnue.

Il est temps de ne plus l’oublier.



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