« …si aucune femme n’est devenue compositrice c’est parce qu’elles se sont mariées et, très convenablement, ont fait de leurs maris et de leurs enfants, leur occupation première. »
(16 août 1877, Ethel à sa mère)
[Hochschule für Musik und Theater « Felix Mendelssoh Bartholdy », Leipzig]
Une femme engagée

Il a beaucoup été écrit sur les Suffragettes. Si je ne m’abuse, il y a même eu un film avec Meryl Streep. Les Suffragettes anglaises ont eut le vent en poupe des récits romanesques ou non, ces dernières années. En même temps, comment ne pas s’enthousiasmer pour cette tempête féministe qui a fait descendre dans la rue des femmes en robes blanches (la couleur des féministes américaines), chapeaux, chignons et silhouettes d’avant 1914?Les Suffragettes ont lutté avec détermination et, parfois, un certain extrémisme pour que les femmes obtiennent le droit de vote. Par ce combat, elles ont même dépassé le simple débat du droit électoral : les femmes (pas toutes !) étaient vent debout, les femmes étaient dans la rue. Certaines sont allées en prisons, ont fait la grève de la faim. D’autres sont mortes – qui se souvient d’Emily Davidson, décédée des suites de ses blessures après s’être jetée sous les pattes du cheval du Roi George V le 4 juin 1913 à Epsom? Et si, vraiment, les Suffragettes ne vous disent rien du tout, vous connaissez sans doute le film Mary Poppins – dites-vous que la maman des enfants, Winifred Banks, est une Suffragette.

Ethel Smyth était Suffragette, certes. Elle a même composé l’hymne des WSPU (« Women’s Social and Political Union » créé par le Emmeline Pankhurst et ses deux filles Christabel et Sylvia) qui était le mouvement qui avait fait le choix des actions violentes. Lorsqu’en 1910, elle compose The March of the Women, il devient l’hymne officiel du WSPU.
The March of the Women n’est pas qu’un hymne, c’est un symbole. Les Suffragettes anglaises le chantaient lors des manifestations de rues mais surtout dans les cellules des prisons. C’était un chant de ralliement, de rébellion, de résistance. Il est chanté pour la toute première fois en janvier 1910, sur Pall Mall, excusez-nous du peu. Quelle provocation ! Pall Mall, c’est la grande avenue qui roule vers Buckingham Palace et le Roi (que le droit des femmes importait peu – Georges V, le grand-père d’Elizabeth II, n’étant pas connu pour ses idées modernes).

En 1912, c’est entre les murs de la sinistre prison d’Holloway que vibre la March of the Women. Une prison où est enfermée Ethel Smyth, accusée d’avoir brisé la fenêtre d’un membre du gouvernement lors d’une manifestation des Suffragettes.
Compositrice. Suffragette. Prisonnière politique. La vie d’Ethel Smyth, pourtant, ne peut se résumer là.
La musique avant tout
Née en 1858, Ethel Smyth est issue d’une famille de la haute bourgeoisie britannique. Son père est officier dans l’armée, elle est née à Sidcup, située à quelques kilomètres seulement du célèbre Greenwich. Chez les Smyth, une femme est faite pour se marier, avoir des enfants. Son père, à la limite, l’imagine gouvernante. Mais la jeune Ethel ne l’entend pas de cette façon : la musique sera l’essence de sa vie. Parce que ne pas le faire, ce serait mourir, rien que ça.
Contre l’avis de ses parents, elle part en 1877 pour Leipzig où elle devient élève au conservatoire de la ville. À l’époque, nous sommes encore loin des guerres mondiales et le tout jeune Empire allemand n’est pas encore l’ennemi numéro 1. À tout juste dix-neuf ans, Ethel est la première élève femme en classe de composition. Parce qu’Ethel voit grand : elle sera compositrice. D’ailleurs, à Leipzig, elle rencontre Brahms et Clara Schumann, Edvard Grieg et même un certain Tchaïkovsky. Forte de son talent et de son travail, elle voyage en Europe puis rentre au Royaume-Uni vers 1890. Elle se consacre alors à ses opéras. Six au total. Certains seront joués à Berlin, à Prague, à Weimar puis à Londres.

Six opéras, tout de même. Mais Ethel Smyth compositrice c’est aussi : deux symphonies, plusieurs oeuvres pour musique de chambre, des Lieders, des oeuvres pour orgues, pour piano et aussi une messe. Entre autres choses.
Toute sa vie, Ethel Smyth composera. Elle écrira aussi ses Mémoires et sera une prolifique épistolière. À ses parents, à ses amis, à Henry Bennet Brewster, rencontré en Italie et qui restera son correspondant et amour (platonique?) jusqu’à la mort de ce dernier en 1908. Mais aussi, à ses amours féminins.
« …même si je devais tomber désespérément amoureuse de Brahms et qu’il me demandait en mariage, je dirais non… »
(16 août 1877, Ethel à sa mère)
[Hochschule für Musik und Theater « Felix Mendelssoh Bartholdy » Leipzig – traduction personnelle]
Parce que, bien loin de se marier et de vivre une vie conventionnelle, en plus d’être compositrice et suffragette, Ethel Smyth est attirée par les femmes. Elle leur écrit, elle les aime, de manière épistolaire parfois et surtout amicale, comme avec Virginia Woolf mais aussi d’autres grandes figures féminines du monde des arts et des lettres, comme Edith Sommerville ou Winnaretta Singer, Princesse de Polignac. Elle côtoiera aussi les plus grands de ce monde, jouera pour la reine Victoria et sera proche, dit-on, de l’ex-impératrice Eugénie.

Dans les années 1930, Ethel verra ses oeuvres reconnues et sera notamment faite Dame. Affaiblie, âgée, usée par une vie de passions, d’engagement, de musique et de liberté, elle décède le 8 mai 1944.
Résumer une vie en quelques phrases, quelle tâche délicate ! Mais la question ici mérite d’être posée : la férue d’opéra que je suis a depuis longtemps réalisé combien les oeuvres de compositrices femmes sont peu représentées (ou pas du tout?) dans les grandes salles européennes. Je terminerai donc sur une question : pourquoi?
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